« La lumière est dans le livre. Ouvrez le livre tout grand. Laissez-le rayonner, laissez-le faire. »
Victor Hugo
(Extrait du Discours d'ouverture du congrès littéraire, 1878)

Existence perdue


Et comme à chaque nuit sans lune, le guerrier affrontait le regard épineux d'Aurose. Comment lui expliquer ce besoin vital de retrouver Amilys, même si ce ne devait être que le reflet de sa mémoire ? La fée des roses ne pouvait pas comprendre, ne voulait surtout pas essayer de comprendre le comportement de Légalorme. Il était uni à elle ; et pourtant la seule chose qu'elle constatait au fil des années était l'attachement que le guerrier avait pour Amilys, une fée morte. Une union spirituelle bien plus forte que celle d'aura. Que pouvait-elle y faire ? C'était Amilys !!! Pas une fée quelconque... Aurose ne retenait pas Légalorme ces soirs-là : elle le foudroyait du regard, espérant le faire culpabiliser vis-à-vis d'elle, sans réel espoir ! Il partait aussi vite que ses ailes lui permettaient comme pour ne pas être en retard à un rendez-vous.

Malaneem du Rocher
Un seul être comprenait la véritable nécessité de ce rendez-vous, même si le guerrier refusait de l'écouter. Malaneem avait su le jour même de la cristallisation d'Amilys, que Légalorme n'admettrait jamais sa mort, qu'il se battrait corps et âme pour la croire en vie. Les années avaient passé et ce combat n'avait jamais cessé. Cette nuit de lune noire était la preuve vivante de ce rejet. Pour la énième fois il se posa auprès de son ami. Légalorme acceptait toujours sa présence, alors qu'ils refusaient toutes les autres. 

– Le ciel est clair ce soir. Tu as apporté des clématites ? se moqua Malaneem.

Un léger sourire se dessina sur le visage de Légalorme. Des clématites ! D'une incantation de Bois, il en fit fleurir au bout de ses doigts et les déposa près du châtaignier. Il en garda une en main et l'offrit à l'elfe du robinier.

– Une petite fleur pour ta tanière !
– Oh ! Que d'honneur Commandant Suprême, rit Malaneem.
– Elle ne pourra pas les prendre, tu le sais bien.
– Tu ne devrais pas espérer... Tu... (Il marqua un blanc.) Tu m'inquiètes, Légalorme. Je ne voudrais pas que tu...
– ... deviennes fou ?
– Je n'ai pas dit cela.
– J'en ai besoin. Cette communion... Malaneem, tu sais très bien...

Légalorme leva les yeux, signe que son ami devait s'en aller. Malaneem se redressa, posa la main sur l’épaule de l'elfe des Marais et soupira. Évidemment qu'il savait, bien mieux que Légalorme lui-même.

  En cette nuit de nouvelle lune, l'aurore se propagea dans la voûte céleste et ses citrines fixèrent la lueur du cercle chromatique à la recherche d'une silhouette, d'un regard de jade. Le papillon dessiné sur sa poitrine prit une teinte bleutée et frémit sur sa peau. L'elfe sentit un chatouillement qui lui rappela cette nuit dans un oasis, perdu au fond d'un volcan en terre de Sienne : une fée aux ailes bleutées avait tracé du bout de ses doigts fins un lépidoptère sur son cœur. Il y posa la paume et, comme une caresse, une force invisible lui ferma les paupières. Ses pupilles se fixèrent alors dans les pupilles de celle qu'il guettait. La barrière entre la vie et la mort s'estompa et leurs esprits se rejoignirent. L'espace d'une aurore, Légalorme retrouvait Amilys et le lien qui les unissait se renouait.

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